Introspection depuis mes rêveries de grand reporter jusqu’à aux pamphlets acides déversés depuis les toits

Publié le par Monsieur Ray

Quand j’étais petit je voulais être reporter de guerre, pas simple journaliste mais bien reporter de guerre, tendance photographie. C’était étrange pour un jeune de garçon d’envisager son avenir utopique ainsi plutôt qu’en cosmonaute, pompier ou joueur de foot mais à cette époque déjà j’avais une idée en tête c’était que l’histoire du monde se jouait autour des points de pivot historiques que sont les guerres. Et dans ma tête vouloir devenir reporter de guerre c’était tout à la fois ma manière d’appartenir au monde en train de se faire mais aussi de transmettre ces événements vitaux à ceux qui n’y étaient pas. Vous pouvez me traiter de marginal autant que vous voulez mais la vérité c’est que j’avais qu’un seul désir c’était d’être là où l’histoire du monde se faisait pour y appartenir et puis pour influer sur cette histoire en action et changer un peu le monde. C’est ce que je croyais qu’il était possible de faire.

Les guerres n’ont pas cessé mais doucement le journalisme a décliné, les photographes et les grands reporters se sont trouvés en marge des médias et puis moi j’ai grandi et j’ai cru comprendre que je ne changerai pas le monde, ni l’histoire et que finalement personne n’était en mesure de le faire, en tout cas pas comme la destinée individuelle d’un héros de mythologie. Mais qu’importe, ce désir d’observer et d’analyser le monde là où il se faisait, dans le chaos et le tumulte des événements malheureux de l’histoire je l’ai reporté ailleurs, sur les individus, les filles et les femmes et je me suis forgé l’idée que l’amour c’était cela, c’était être en mesure de survivre aux guerres et aux catastrophes intimes d’une personne, y assister sans trembler, porter un regard honnête, franc, porteur de vie, de désir et d’envie dans l’œil noir des démons intérieurs. Ce n’était pas bien différent de mon fantasme de journalisme de guerre, c’était seulement que la guerre glissait du champ social des civilisations vers les recoins hostiles des jardins secrets saccagés. Je pensais que si j’étais en mesure de supporter l’horreur intime comme on supporte l’horreur de la guerre je faisais un haut fait d’amour et je pensais que cela permettrait de changer un peu l’histoire et au travers de cela la personne parce que l’amour comme l’information avaient dans ma vocation le devoir de positivité.

J’ai connu bien des batailles, remporté quelques batailles mais les guerres intérieures couvaient toujours par-delà mon regard d’humain dans les enfers des autres. Et je crois que j’ai fini par comprendre que c’était là des guerres vaines et que je n’étais au front de ces batailles qu’un Sisyphe de l’introspection et j’ai doucement fait glisser mon désir de comprendre l’autre dans les mécaniques les plus absurdes et douloureuses de son être vers un désir de comprendre le monde, l’observer, l’analyser et le comprendre pour peut-être agir sur lui. C’était une suite logique, j’avais ambitionné de me confronter à la guerre comme la charnière historique du monde, je m’étais ensuite focalisé sur les guerres intérieures comme des champs de batailles que j’affrontais en brandissant l’étendard de l’amour afin de comprendre l’autre dans ces mécaniques les plus déviantes et la regarder avec désir, passion et bienveillance pour enfin tourner cette empathie vers le monde. Les chaos du monde ne pouvant être plus sombre que les chaos de l’âme humaine.

J’ai balancé mon regard contre les falaises absurdes du monde, de la société, de la politique, de la culture, de la doxa, j’ai embrassé des faits avec l’emphase d’une objectivité recherché, j’ai mis de côté mon égo et ma subjectivité pour approcher un peu la position d’où j’aurai sur les faits un regard critique objectif. C’était facile de porter sur l’autre, la femme tourmentée, un regard objectif parce que par nature je n’étais pas elle et qu’il me suffisait d’être moi pour être dans la posture de celui qui a un pas de recule. Mais pour juger, jauger le monde auquel on appartient, pour scruter la société dans laquelle on a été façonné il faut se nier pour approcher les faits dans un semble d’objectivité parce que jamais l’individu pourra se soustraite à son déterminisme. Mais c’était beau, je m’y suis adonné avec passion, avec fougue, sans grandes ambitions mais avec une certaine prétention, celle d’y parvenir et d’y prendre un plaisir qui renouvelé confère aux pratiques répétitives le don de l’habitude. J’étais détaché de l’immédiateté de l’instant présent de l’événement historique, j’étais détaché des affects et des troubles qui hantent les individus et qui les consignes à un rôle aux allures de carcans et je pouvais aborder le monde en choisi de suivre les ramifications nombreuses et labyrinthique des idées qui sous-tendent le monde dans son acception sociétal. J’ai pu faire tout cela parce que j’étais jeune et que j’étais porté par la vague de ma génération. Qu’importe si j’y étais intégré ou non, l’essentiel c’est que j’appartenais à la génération qui écrivait le monde et pour qui il était naturel de le faire ; comme pour toutes les générations nous réinventions le monde, l’eau tiède et les codes parce que c’était de notre devoir.

Aujourd’hui lorsque je me retourne pour regarder le monde qui s’agite dans mon dos je constate une chose. Je lui ai tourné le dos. Pas par rancœur ou parce que le monde m’a exclu des siens, non, rien de tout de cela c’est juste un constat naturel, logique, quel que chose qui s’apparente je suppose à l’âge, à la maturité, à l’entropie ou à la mélancolie. Je me retiens le plus possible de dire que le monde était mieux avant, au sens où notre génération valait plus que la nouvelle, je me retiens de le dire mais pas de le penser, parce que ça m’apparaît comme un droit naturel. Peut-être aussi parce qu’il relève du droit naturel que la nouvelle génération remette en cause les acquis de la précédente génération conférant ainsi à la précédente génération le droit d’ostraciser la nouvelle. Mon paradoxe évident c’est que j’ai traversé ma génération et mon temps à contre temps de ses valeurs, de ses normes et de ses individus. J’ai conchié mes semblables bien plus fort qu’ils ne l’on fait à mon égard, j’ai fustigé la société forgée par ma génération autant que les anciennes et les futures, ce n’était pas du nihilisme mais du pragmatisme objectif un peu romantique, je me suis battu et j’aimais ça. Mais si je me suis battu c’est que la lutte des nouveaux contre les autres est une dimension consubstantielle de l’émergence générationnelle ; la différence ente l’homme et les animaux c’est que chez l’humain chaque nouvelle génération est héritière d’un bagage culturel mais elle est aussi porteuse des éléments qui vont saper cet héritage, le modifier, l’hybrider, la nouvelle génération va se réapproprier son bagage avant de le transmettre à nouveau dans sa forme nouvelle. Alors que les animaux reproduisent génération après génération les acquis de l’évolution et la modification de leur bagage culturelle relève de l’évolution darwinienne dicté par le milieu plus que d’un conflit générationnel.

Mais ai-je fais ce que j’ai fais parce que j’y été déterminé par ma génération ou parce que c’était un don, un penchant, une passion ? Ma sensation est évidente, ma passion et intacte et mon amertume réelle. Pourquoi une amertume parce que j’ai pu critiquer le monde par le biais du prisme de ma génération, j’avais une cible évidente et ma critique même si elle était globale elle n’avait qu’une seule direction, le sens de l’histoire. Aujourd’hui avec le temps qui passe sur moi comme sur le monde je me retrouve à une place où je suis cerné, d’un côté par le vieux monde, celui qui a toujours été la source de mon goût pour les pamphlets, de l’autre par le nouveau monde qui m’apparaît comme plus absurde et insensé que mon propre monde a pu l’être avant lui et au milieu il y a mon monde que je ne peux pas exempter de critique. Mon amertume c’est celle d’être redevenu Sisyphe au milieu des hommes, je pourrais rouler ma bile en haut des grattes ciels et la déverser sur la doxa en espérant que l’électrochoc la stimule assez pour la changer qu’il me faudra déjà redescendre, rouvrir la porte d’un nouveau building et remonter en haut ma bile, mon fiel, ma plume acide et verser ma prose pamphlétaire sur d’autres cibles, à toujours et à jamais.

En réalité je ne voulais pas écrire ce texte, enfin je n'avais pas prévu d'écrire cela, ça ne devait être qu'un paragraphe introductif à autre chose mais un mot en amenant un autre et en déroulant le fil de soi j'en suis arrivé là, c'est à dire à mi-chemin entre ce que je voulais dire au départ et entre ce que je pourrais dire à partir de là

En réalité je ne voulais pas écrire ce texte, enfin je n'avais pas prévu d'écrire cela, ça ne devait être qu'un paragraphe introductif à autre chose mais un mot en amenant un autre et en déroulant le fil de soi j'en suis arrivé là, c'est à dire à mi-chemin entre ce que je voulais dire au départ et entre ce que je pourrais dire à partir de là

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