Sur la route de mes souvenirs faire une pose sur une aire en bord de nuit et d'autoroute

Publié le par Monsieur Ray

Une fois, c'était une nuit, j’avais emporté ma muse sur une aire d’autoroute. Je ne cherchais pas à l’y abandonner, on ne fait ça qu’avec les chiens et les muses ne sont pas toutes chiennes, nous allions simplement écrire. Cette nuit-là donc c’était l’été, et au bord de la nuit, juste avant son milieu, j’avais pris la route et j’avais roulé très précisément vers une portion d’autoroute sur laquelle je m’étais engagé pour rejoindre une aire d’autoroute. Je ne longeais pas la volonté du hasard. Au contraire je suivais un plan de route limpide, étudié plusieurs fois qui me conduisait vers la réalisation d’une forme de fantasme de retrait.

Les airs d’autoroutes sont, encore plus que les gares et les aéroports, des lieux de transite qui échappent à beaucoup de déterminismes. L’aire d’autoroute n’est jamais une destination finale, ce n’est jamais le but, le bout du chemin, ni l’endroit dépositaire des espoirs des voyageurs de route. On s’y arrête comme on s’extrait de son histoire pour s’octroyer un temps de latence dans un entre-deux interlope. Il advient alors au monde un je-ne-sais-quoi d’à part entière et d’unique qui possède les aspects d’un espace d’en dehors des normes doxastiques.

J’avais donc amené une muse sur une aire d'autoroute. Ce n’était pas pour qu’elle y chie des pétales de fleurs dans la céramique souillée des toilettes, en tout cas pas cette fois. C'était pour écrire. Nous étions jeunes et forcément idiots de ce romantisme exacerbé qui ne convient qu’aux plus aveugles des êtres. Nous nous étions installés, assis à une table de piquenique en béton, l’un face à l’autre dans le silence de la création et nous y avions écrit, chacun sa prose, hermétique et secrète. Lorsque la nuit avait été sur le point de basculer dans son autre bord nous avions repris l’autoroute, nous avions payé la portion à péage et nous avions fait demi-tour pour rentrer dormir.

Plus tard j’étais retourné sur des aires d'autoroute mais cette fois j'étais seul. Je m’y rendais pour écrire, toujours, avec mon cahier bleu et un stylo noir. Une fois je m’étais enfermé dans les toilettes des dames, assis en tailleur sur la céramique pour écrire. J’explorais un nouveau niveau d’abstraction du réel, j’étais là où je ne devais pas être, je n’étais pas là, j’écrivais depuis donc le lieu de ma non-existence et c’était grisant, brouillant, organique et curieux. J’expérimentais une sensation de mener exploration d’un monde d’en bas ; d’en bas les escaliers, d’un monde de derrière, un monde de derrière la porte close.

Et depuis lorsqu'un poète ou qu’une muse convoque les aires d’autoroutes ça me parle ; depuis cette époque révolue je n’ai pas arrêté de déféquer quelques poésies de réseau routier.

Sur la route de mes souvenirs je marque une pose sur une aire en bord de nuit et d'autoroute

Sur la route de mes souvenirs je marque une pose sur une aire en bord de nuit et d'autoroute

Publié dans écrire, souvenirs

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