Jour # 1223 Doit-on laisser souffrir les muses ?
En plein jour, en pleine nuit ; là où je me trouve je suis nulle part où je puisse dire être ici. Je suis juste en face d'elle et elle est là. Au demeurant d'une vie d'artiste doit-on les laisser souffrir les muses ces fameuses égéries au corps présent. Faut-il laisser couler leurs larmes, laissé crier leurs cœurs, leur laisser souffrir le monde pour pouvoir y puiser notre inspiration ? Faut-il leur laisser insuffler en moi les sentiments exacerbés de cette humanité qui m’est étrangère. Ne sont-elles pas là pour cela, au sublime de leur personne ressentir le vivant, le souffrir ou en jouir pour d’autre ?
Qui sont-elles, que sont-elles ?
Souffrir, sourire la nuance est mince mais quel est son rôle à la muse ; donner dans le sentiment, l'émotion, l'inspiration, donner du sensible, rien que du sensible, de l’être soi, c’est à dire de l’être elle ; aimer ou être elle, paraître ou être elle, éternelle question dont les réponses se tissent dans ce que j'y puise et dans ce que j'écris.
Doit-on laisser les muses expier au pilori de ce que l'on ne peut pas endurer les sensations que l'on refoule ? Sensuelle, fragile, infiniment désirable parce qu'elles sont sensibles, faut-il les laisser souffrir et vivre une vie dont seuls les artistes s’offre l’audace de rêver et par petite gorgée d’un goût subtil distiller au spectateur fasciné.
Les muses souffrent-elles ce que l'on n'ose pas endurer ? On les sait sensuelle et fragile et on les expose aux morsures de la vie, à ses foudres et ses poignards, à son goût âpre et amer dont les hommes n'ont eu cessent de se protéger et que l'artiste a souhaité en silence avoir saisir.
Peut-on laisser souffrir les muses ? Du piédestal d'où on les voit là où elles sont belles, irradiantes, irradiées plus que de raison à la place du plus fort, nous les voyons vaciller, pleurer, prier, aimer, crier. Doivent-elles être là parce qu'elles le font si bien, simplement parce qu'elles sont douées pour cela, simplement parce que nous ne le sommes pas assez ?
Sentiment de feu, de femme et d'amour ou d'existence au zénith.
Doivent-elles être les seules à goûter aux goûts amers, la liqueur âcre de la vie ? Transpercées en leurs corps et conscience des soubresauts de la douleur. Elles sont belles mes muses, ruines fragiles et encore tremblante de leurs âmes ; elles sont fières mes muses crucifiées à l'orée de la folie, elles savent faire face mes muses aux cris, aux pleurs, aux tremblements et soubresauts de la raison, pas celle du plus fort mais celle du plus lâche. Faut-il laisser mourir les muses comme s'éteint une bougie, ne gardant au cœur que la nostalgie légère et l'emphase délicieuse que l’on appel inspiration. Faut-il les laisser mourir pour un éclat de mot, une lueur de plaisir ?
Une main sur la tête caressant les cheveux, une main sur le cœur caressant la blessure, figée dans sensualité apparente elle est là. Une pause prise près d’un torrent. Faut-il accepter de la laisser partir et rester là stoïque et exalté en ayant à la conscience l'imminence de sa chute, le probable de son plongeon, le certain de sa fin.
Faut-il écrire sur elle, pour elle, avec elle, écrire sans elle ? Puis faut-il encore être lu et aimer cela pour poursuivre cet exercice ?
Tête à tête divin, d’elle à moi il n'y a rien d'espace qui nous sépare, juste d'infimes différences et d'infinis petits gouffres ; nous avons le don de les vivre, elle a le don de l'être infinie et différente ; j’éprouve la culpabilité contre l'envie, le sublime contre l'extase. Elle et moi, la muse et l’artiste, elle inonde et je canalise, elle traverse et je transport, elle expérimente et j'exprime ; elle expire et j'aspire.