Ce n’est qu’une église en feu dans un pays laïque
C’est avec la phrase que j’utilise en accroche de cet article que me sont venues quelques réflexions durant la soirée de lundi et la journée d’hier alors que Notre-Dame venait de brûler. Comme beaucoup de personnes ce lundi soir j’ai été alerté par une effervescence sur la toile et pour m’assurer que le bruit n’était pas un faux bruit j’ai allumé ma télé, ce qui ne garanti pas nécessairement la vérité, pour m’assurer que c’était exacte. Effectivement je tombais sur les images de la cathédrale de Notre-Dame en prise aux flammes. C’était impressionnant bien sûr parce que lorsque le chaos fait intrusion dans le quotidien il opère sur nous une forme de fascination. J’ai donc regardé bruler la cathédrale pendant quelques minutes.
Ni morts, ni guerres, ni attentats, à priori juste le destin qui s’acharne, un mauvais coût du sort. De toutes manières à ce moment là il était compliqué d’espérer des informations plus précises ; je savais donc tout et j’éteignais la télé.
C’est au lendemain que je me suis surpris de l’ampleur que prenait la catastrophe, non pas que l’incendie aie continué de ravager le bâtiment durant la nuit, mais parce que cet événement emportait les élans, les emphases et l’émotion des personnes d’une manière que je n’arrive pas à comprendre. Bien sûr je ne suis pas un fervent croyant, à peine est-ce si je laisse une place à dieu dans le grand échiquier de l’univers, bien sûr je ne suis pas non plus historien même si j’aime et adhère à la matière historique du monde et de mon pays comme je peux le faire avec d’autres sujets d’intérêts, et c’était peut-être là ma différence.
Je savais que Notre-Dame brulait mais je ne voyais qu’une église en feu dans un pays laïque, une église en feu par le pur fruit du hasard. Pourquoi faudrait-il alors gloser au-delà du fait divers les braises encore fumantes ?
J’entends bien que ce bâtiment vieux de presque mille ans est un morceau d’histoire. Mais cela n’est que formule, que métaphore. L’histoire c’est écrite avec parfois pour décor la cathédrale, mais l’histoire n’est pas contenue ni dans ses murs, ni sa toitures, ni sa charpente. Il n’y a que la vision symbolique pour s’émouvoir d’une poutre du 13 ème siècle. L’histoire n’est pas contenue dans le bois ni dans la pierre, l’histoire est indestructible, en tout cas elle est à l’épreuve du feu, de l’eau, de la foudre et de l’entropie. Les lieux meurent, l’histoire survie. Perdre une partie de Notre-Dame n’ampute en rien notre patrimoine. Sauf si bien sûr nous parlons du patrimoine financier que représente la manne des millions de touristes qui viennent voir la grande dame.
Encore une fois, ce n’est là qu’une église en feu dans un pays laïque.
Mais cet incendie nous renvoie à bien des choses connexes, en tout cas ça envoie ma pensée dans bien des directions. Je pensais en regardant sur l’écran la fumée s’envoler que nous autre français nous régissions comme si la préservation « en l’état » d’un bâtiment « historique » allait de soi. Comme si préserver un vieux bâtiment était une nécessité, une obligation, mais surtout comme si c’était la seule vision à avoir sur le patrimoine. Alors qu’en Asie par exemple cette valeur là n’est pas la même et l’on peut visiter des temples millénaires qui n’ont qu’une vingtaine d’années parce qu’ils sont reconstruits au même endroit lorsque la version précédente est trop détériorée. Est-ce que cela retire de la valeur symbolique ou mystique à l’endroit ? J’en doute.
Nous mettons de l’argent, pas assez au demeurant, et de l’énergie à vouloir restaurer des bâtiments anciens selon le respect de ce que nous supposons avoir été leur forme originale. Mais cette vision ne peut à la rigueur que s’appliquer à la peinture, l’architecture, surtout antique, n’existe jamais dans une forme unique, viable et définitive parce que les édifices anciens étaient construits sur des plans s’étalant sur des années, des décennies, des siècles, ils étaient des ouvrages en perpétuelles évolutions en prise aux aléas de leurs époques, de leurs commanditaires, du monde et de la vie. Et nous, nous arrivons quelques siècles plus tard avec la velléité de figer la vie d’un bâtiment dans un état donné, sans que nous semblions réaliser que c’est un pur état utopique.
Sans filer trop fort la métaphore, j’ai malgré tout envie de dire que les bâtiments sont à l’image des êtres vivants, ils évoluent, ils sont soumis à l’entropie et il n’a jamais été inscrit ailleurs que dans les ambitions mégalomaniaques de quelques fous que les bâtiments devaient être éternel. Par sa nature même de construction mise dans l’espace public en prise aux éléments, à l’érosion, aux aléas climatiques, aux catastrophes, la construction est amenée à évoluer et à disparaître à une distance plus ou moins longue. Alors pourquoi s’étonner et s’émouvoir lorsqu’un bâtiment, aussi iconique soit-il, est soumis à sa propre nature de construction non éternelle. Bien sûr il est normal de s’en émouvoir, s’en émouvoir un peu parce que dans le fond ce ne sont que de vieilles pierres quand des hommes et des femmes et des enfants meurent un peu partout dans le monde. Mais c’est notre vieille pierre à nous alors on s’en émeut différemment, en tout cas je le suppose.
Parce que je ne ressens rien qu’un peu de lassitude à regarder la télé, je préfère l’éteindre, je sais bien en plus que Notre-Dame est d’autres cathédrales seront encore là demain.