Pourquoi chiner des jouets lorsque l'on approche la quarantaine

Publié le par Monsieur Ray

J’ai commencé à chiner des jouets pour une raison particulière, je voulais me constituer un bestiaire afin d’illustrer de futures parties de jeux de rôle. Il se trouve que les bestiaires des mondes imaginaires, du fantastique et de la fantasy comme les robots, les chevaliers, les dragons et toutes sortes de monstres ont fortement imprégné l’industrie du jouet. Il est donc facile de trouver ce genre de personnage en vide-greniers. C’était tout, un objectif clair et facile à poursuivre. C’est comme cela que je me suis retrouvé avec une collection petite mais grandissante de dragons en plastique. Je poursuivais un but purement illustratif afin d’adjoindre à mes parties de jeux de rôle quelques éléments qui me permettront de figer l’image que les joueurs peuvent se faire d’une description orale. Je chinais des squelettes, des griffons, des dragons, des minotaures et c’était bien comme ça.

Je me suis donc retrouvé en vide-greniers en train de fouiner, chiner et fouiller dans les bacs où sont stockées ces babioles dont les parents et enfants se séparent volontiers et inévitablement je suis tombé sur des personnages qui ne correspondaient pas à ma recherche initiale mais qui parlaient à mon imaginaire. Des jouets issus de mon enfance, soit parce que j’avais directement joué avec eux comme les Mask, Gi Jo, Maîtres de l’Univers, soit parce que ce sont des jouets tirés de dessins animés qui baignaient mon enfance. Ou encore des jouets qui faisaient fureur à mon époque mais avec lesquels je n'ai jamais eu l'occasion de jouer. La nostalgie étant un puissant vecteur d’envies et de passions j’ai donc commencé à acheter des jouets qui ne correspondaient plus à ma recherche initiale parce qu'ils entraient dans une nouvelle catégorie de recherche, les souvenirs personnels. Cela peut paraître désuet, absurde ou ridicule, mais il y a dans cette seconde logique l’envie non-consciente de se constituer un tout petit musée des souvenirs et de la nostalgie du temps lointain de l’enfance. Je trouve qu'il est plus facile, plus amusant et plus économique de réunir des jouets représentants des personnages issus des films et dessins animés, voire des jeux vidéos de mon enfance plutôt que d’en racheter les coffrets DVD par exemple. Cette collection, à jamais incomplète est sûrement le reflet le plus intime d'une période de ma vie et c'est à ce titre qu'elle me tient à cœur.

Voilà donc les deux premières raisons qui m’ont amené à chiner des jouets, une approche naïve et nostalgique pleine de surprises qui ravivent des souvenirs d’enfance. Mais ça n’a été qu’un premier pas, un déclencheur. Il est évident que lorsque l’on chine c’est que l’on a le goût de l’ancien et celui de la collection. Chez moi le goût "collection" vient en second. Je veux dire que le sens que je découvre dans l’accumulation de tel ou tel objet arrive généralement après avoir acheté plusieurs objets sans démarche consciente. Cela me rappelle les paroles d'un professeur d'arts plastiques qui nous expliquait que le style d'un artiste naît après l’œuvre. Dans un premier temps l'artiste crée, il produit, et c'est dans un second temps que son regard prend le recul nécessaire pour rechercher le sens et donc le style dans l'ensemble de ses créations. Il y a donc des jouets et des figurines chinés par hasard, parce qu'ils étaient dans des lots par exemple, et qui deviennent ensuite un sujet de collection. Par exemple dans la marque de jouet Papo il y a une gamme de figurines d’animaux mutants. Je ne connaissais pas la gamme, ni même la marque, avant de chiner un tigre guerrier mutant pour mon bestiaire de jeu de rôle. Quand je chine un objet, j’essaie de l’identifier, en apprendre plus sur lui, j’ai donc découvert qu’il y avait une série d’animaux mutants et c’est devenu un but éphémère de vide-greniers, réussir à réunir toute la gamme. Parfois l’envie d’une collection ou l’idée de compléter une série c’est simplement un moyen de se donner un objectif, une contrainte, un cadre, une orientation pour chiner. Lorsque j’aurai enfin trouvé le rhino mutant et le lion mutant je passerai à autre chose, je revendrai peut-être la série parce que mine de rien ce n’est pas donné comme babiole.

Je crois que ça me permet d’aborder une raison sous-jacente qui m’a amené à chiner des jouets, c’est la question du prix. Ce sont des objets que l’on trouve en vide-greniers pour quelques centimes, 20 centimes, 50 centimes généralement, quelques fois plus pour les grosses pièces, mais quelquefois ils sont donnés par les exposants. Bref vu qu’il n’y a pas beaucoup de spéculation et plutôt encore beaucoup d’offre ça me permet de chiner des jouets et des figurines sans me restreindre sur le nombre ni me ruiner et ainsi cultiver ma passion pour les vieilles choses. Bien sûr il y a des jouets plus cotés que les autres et en trouver peut constituer une joie supplémentaire mais ce n'est pas du tout mon but.

Je crois que j’ai balayé jusqu’à présent les raisons les plus évidentes qui m’ont amené à chiner des jouets, le fait de me constituer un bestiaire pour illustrer des parties de jeux de rôles, réunir des objets de souvenirs pour constituer un petit musée des mondes imaginaires de mon enfance, et puis parce que c’est un domaine où ça ne coûte quasiment rien de poursuivre et développer des collections. Mais il reste quelques aspects qui me trottent dans la tête et que je voudrais réussir à mettre en mot. Ce ne sont pas les raisons qui me sont venues en premier, en revanche ce sont celles qui me passionnent le plus actuellement.

Il s’agit d’envisager ces jouets comme des objets de culture. Derrière un jouet, même s’il est produit de manière industrielle, il y a une démarche artistique d’interprétation. Je parle des sculpteurs qui façonnent les silhouettes et les moules qui à chaque époque essaient de retranscrire, interpréter ou adapter des personnages de fiction, de cinéma, de BD, de dessin animé dans un médium nouveau. Et je trouve cela fascinant.

Par exemple les jouets de la gamme Star Wars sont des cas d’école pour voir l’évolution dans la manière de représenter les personnages. La photo que j’ai mise pour illustrer cet article représente deux Stormtrooper que j’ai chiné. Ce ne sont pas exactement les mêmes personnages qui sont représentés mais ils sont du même camp et ont globalement le même rôle. La vraie différence entre ces deux jouets ce sont les 25 années qui les séparent. Le premier date de 1983, le second de 2008. Je trouve ça génial de pouvoir regarder leur évolution technique et technologique et voir dans le design ou la manière de les incarner.

Par goût de la collection, par goût de l’art ou par goût de l’accumulation, et certainement par ses trois raisons additionnées, il m’arrive aussi de rechercher à chiner des mêmes personnages ; généralement parce que le personnage me plait, comme le Joker, l’ennemi intime de Batman. Accumuler plusieurs représentations du même personnage fait ressortir de façon flagrante les différentes interprétations que les différents productions ont provoquées. A chaque fois je garde en tête l'image iconique du personnage original et j'admire ses variations.  Je trouve alors magnifique de voir comment la figure d’un personnage parvient à émerger parmi la différence. Cette façon d'accumuler un même personnage permet de voir comment son concept, son essence, résiste au travers des différences d’interprétations que l’on peut voir dans chaque jouet.

Et puis l'accumulation est une forme esthétique j'apprécie. Je trouve cela tout simplement beau .

L’autre chose que je voulais approcher dans ma démarche de chiner des jouets et particulièrement des jouets issus d’univers imaginaires et de science-fiction, est liée à mon goût pour la science-fiction que l’on pourrait catégoriser comme rétro futuriste. Je parle du regard que la science-fiction des années 60 et 70 portait sur le futur, la manière qu’elle avait de l’illustrer et l’anticiper son futur (qui est devenu notre présent pour beaucoup) à base de vaisseaux spatiaux, de robots, de pistolets lasers et de cette imagerie qui aujourd’hui nous paraît un peu naïve et désuète. C’est cette SF là qui a baigné la culture des auteurs et artistes qui sont à l’origine des dessins animés qui m’ont marqué, Goldorak, Capitaine Flam, Albator, Cobra, Ulysse 31 pour ne citer qu’eux. D’une certaine manière ce regard un peu naïf sur le futur, un peu daté, emporté par un souffle épique de conte de fée, je le retrouve dans le design des jouets que je chine et je crois qu’ils parlent à mon imaginaire pour cela.

Je ne voudrais pas avoir l’air d’enfoncer des portes ouvertes, mais la plupart des enfants qui ont possédé des jouets se sont souvent servi de ces jouets pour se raconter des histoires. Des histoires débridées qui ne respectaient pas les canons des histoires particulières de chaque personnage ; je n’hésitais pas à mélanger Mask et Transformers, robots sans étiquette et dinosaures pour me raconter des aventures épiques à l'abri de ma cabane. A croire que les jouets étaient déjà pour moi des vecteurs d’imaginaires. Aujourd’hui si j’ai quelques vieux jouets sur mon bureau d’écrivain c’est parce que je vois toujours en eux les vecteurs d’imagination et de mélanges qu'ils ont été pour moi ; le cyclope et le catcheur avec le sorcier forme une perspective éphémère d'un imaginaire déposé sur mon bureau. En tant qu’objet adapté d’un univers de fiction imaginaire le jouet est porteur d’une part d’imaginaire propre. Par le design d’un costume désuet, par la courbe qui simule un geste, ou simplement par la présence incongrue d’un Dark Vador et d’un indien côte à côte j’éprouve un plaisir jubilatoire à l’imagination.

Or imaginer c’est un peu le fondement de mon écriture, alors peut-être que tout est là, sans avoir besoin de rien d’autre.

Monsieur Stormtrooper de 1983 à côté de monsieur Stormtrooper de 2008 et en dessous ma famille de Flash
Monsieur Stormtrooper de 1983 à côté de monsieur Stormtrooper de 2008 et en dessous ma famille de Flash

Monsieur Stormtrooper de 1983 à côté de monsieur Stormtrooper de 2008 et en dessous ma famille de Flash

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