Petite digression autour et contre l'utilisation de nude art pour parler du Nu dans l'art

Publié le par Monsieur Ray

En préambule je tiens à préciser que j’admire, je respecte et j’encourage de manière entière et indéfectible les modèles, les photographes, les dessinateurs, les vidéastes, les performeurs et les performeuses qui mettent le corps au centre de leurs démarches artistiques. Dans le texte qui va suivre ma critique vise principalement l’utilisation de l’anglicisme nude art pour classifier, catégoriser, étiqueter et dans certains cas pour camoufler ou déformer la réception de photographies que je peux voir sur Instagram.

Le besoin de poser des mots sur mon ressenti est venu parce que j’éprouve une forme de malaise et de colère diffuse lorsque je vois des personnes utiliser le terme de nude art pour désigner les photos où elles posent de manière plus ou moins dénudées. Encore une fois je le précise mais je n’ai rien contre les photos de corps nus et c’est même très souvent que j’aime lover mon regard contre leurs images. Je ne porte aucun préjugé infamant ou avilissant vis-à-vis des femmes et des hommes qui décident de poser nus. Mon brief est bel et bien autour du terme utiliser pour parler de cette pratique.

Pour commencer je trouve que la saillie anglaise nude art sonne comme un tocsin pour le nu comme pour l’art de notre langue française. Cet anglicisme résonne pour moi comme une erreur, un contresens et une approximation de traduction. Derrière ce terme ne se cache pas un prétendu art du nu, mais simplement le Nu. Si je puis dire c’est le Nu nu qui vient et se pose devant soi fier et droit comme un marbre antique. Le nu est un terme que je comprends, peut-être parce que c’est celui que j’ai acquis en histoire de l’art, ou parce que je suis un vieux con réac’ retissant aux changements … quoi qu’il en soit le nu comme genre artistique est un concept que je conçois alors que le nude art m’apparait comme une catégorie interlope sur un site orphelin, oui je parle d’un site né sous X. Plus important encore j’ai la sensation que l’utilisation ce terme anglophone là où un terme francophone existe implique une distance entre la personne et sa démarche. Une distance suffisante pour créer un dérèglement de la compréhension. C’est la même différence entre je t’aime et I love you, chacun est libre de la nier et pourtant elle existe. Une personne que j’entends dire qu’elle fait du nude art me laisse le goût amer d’une personne qui ne serait pas capable de dire qu’elle fait du nu, le dire puis l’assumer bien sûr.

Je crois que le malaise que j’éprouve lorsque je croise ce terme en légende d’une photo est en parti provoqué par cet écart entre l’intention, les actes et les mots pour le dire. Le plus souvent c’est une expression employée par des femmes qui défendent leur démarche de poser nues. Il peut y avoir mille et une raisons, toutes respectables, de poser nue, comme la volonté d’apprivoiser son corps, en reprendre le contrôle, construire ou rassurer sa féminité, explorer son rapport aux autres, pour séduire, pour l’art (mais c’est un concept très flou qui mériterait d’être définit), pour dépasser ses limites et bien d’autres encore. Le point commun que j’y vois c’est la présence d’une dimension plus ou moins militante. Militante n’est pas le mot juste, ce que je veux dire c’est que de verbaliser la chose en disant je fais du nude art pour [mettez ici n’importe quelle raison] c’est convoquer le terme pour justifier sa démarche. Or justement je trouve que cette approximation anglaise dans la langue française apparait comme un retrait, une facilité, une manière détournée de se confronter à son ambition ou à son corps. Quelles qu’en soient les raisons, poser nu c’est se confronter à son corps, mais le faire en le disant avec un terme qui se détourne de la réalité me semble contradictoire.

Le nu comme expression d’un genre artistique n’a pas besoin que l’on y accole un adjectif pour avoir du sens et pire encore pour devenir de l’art. Lorsque le nu majuscule est convoqué dans un contexte d’art il se suffit à lui-même pour dire ce qu’il est. Si un sculpteur vous dit qu’il fait du nu il n’a pas besoin d’ajouter du nu artistique ou du nude art pour que vous compreniez son ambition. De la même manière, si vous allez à Florence dans la Galerie des Offices pour voir la Vénus d’Urbin du Titien (ce que je souhaite à tout le monde) vous ne direz pas à votre retour que vous avez vu une peinture de nu artistique, que vous avez vu du nude art ou du nude paint. Vous avez simplement vu un chef-d’œuvre de la Renaissance qui n’a pas besoin que l’on précise qu’il n’est pas pornographique et cela même si effectivement la Vénus en question a les doigts drôlement bien logés dans un recoin sensible de son corps. Mais le talent de la dimension artistique l’emporte sur la nudité. Préciser d’un nu qu’il est artistique c’est selon moi tuer sa part artistique, c’est lui couper les ailes et y coller une étiquette bien large, épaisse, collante et lourde. Dans un autre registre métaphorique c’est prendre un Stabilo fluo et surligner abondamment une rime dans un roman de Victor Hugo pour dire, regardez c’est de la poésie. Accoler artistique à nu ou nude à art c’est souligner que ce nu est artistique et valider de manière tacite que ce nu aurait pu être autre chose qu’artistique. Et c’est là une des plus grandes erreurs que propage cette formule

Je crois comprendre, peut-être à tort, que cette revendication de nude art est un étendard levé contre la connerie abyssale de ceux et celles, parce que la connerie n’a pas de sexe, qui pensent qu’une personne qui met en jeu l’image de son corps nu dans un espace public ou semi public (nous pourrions débattre plus tard pour savoir si Internet est un espace privé ou public) est un acte sexuel, une incitation la haine, une provocation charnelle ou pire encore un blasphème à la dignité humaine. Cette incapacité d’une trop large partie de la population à reconnaître la présence du corps nu comme un élément de nature et une évidence asexuée est un drame cancéreux pour notre société. Et je peux comprendre que pour essayer d’échapper à la vindicte d’un jugement erroné certaines personnes aient recourt à ce terme qui précise que ce nu est artistique. Mais justement faire cette distinction entre un nu qui serait artistique et un nu qui serait autre chose, c’est aller dans le même sens que les gens qui considèrent que le nu peut être autre chose qu’un genre artistique.

Je crois comprendre que ce terme de nude art que j’ai vu apparaître dans les mots, les légendes et les cartouches de femmes et parfois d’adolescentes qui s’aventurent dans l’expérience du nu c’est leur façon de dire qu’elles ne font pas de la pornographie puisque c’est globalement à cela que la doxa résume l’exposition du corps nu. J’admire leurs courages parce que dans cette société pudibonde mettre en jeu l’image de son corps est un défi face à l’inculture et l’incivilité des foules pathétiques, et encore je parle là pour les moins pires des cons. Pour autant je continu de penser que ce terme est erroné. Entre autres raisons parce que l’art ne peut pas être résumé au beau ou à une imagerie désexualisée. Il y a de la vulgarité dans l’art, de la vulgarité revendiquée et assumée. Il y a de la pornographie dans l’art. Il y a de la violence dans l’art. Il y a de la merde dans l’art, je veux dire littéralement, je fais référence à Piero Manzoni qui en 1961 met en vente 90 boîtes de conserves contenant ses propres excréments qu'il nomme Merde d'Artiste. La palette de l’art est immense, à priori sans borne ni limite, l’art s’exprime autant dans le beau que dans le laid, autant dans le trash que dans le classisme et dire je fais du nude art au sens de nu artistique pour se défendre de faire du trash, de la provoc’, du cul, de la viande, de la pornographie est un contresens historique à l’histoire de l’art et des arts.

Je comprends la volonté de ces personnes qui veulent revendiquer leur droit à disposer librement de leurs corps et d’exprimer ce qu’elles désirent sans avoir à subir les jugements dégradants et insultants d’une foule toujours prête à lapider n’importe qui. Mais se prémunir de ces relents indigents en utilisant le terme de nude art est selon moi une erreur, un contresens et par extension un échec. Encore une fois je ne critique pas les démarches plastiques, les démarches intimes et personnelles et je serais toujours là pour encourager et conseiller les personnes que dont je croiserais les images avec bienveillance. C’est l’émergence de l’expression nude art sur des comptes francophone qui motive ma prose, rien d’autre.

Je pensais pouvoir parler dans ce texte de ces cons qui s’offusquent de la moindre photo dénudée et des autres cons qui croient voir dans ces photos un appel à une sexualité non sollicité, au harcèlement ou au viol, mais ce texte est déjà assez long. Je sais que sur internet l’attention du lectorat est majoritairement courte et d’ailleurs je remercie les personnes qui auront lu ce texte jusqu’au bout. Du coup je reviendrais parler des cons, parce qu’il y a beaucoup à dire sur eux, contre eux évidemment parce que pour le coup je n’ai aucun respect ni aucune compassion pour cette classe sociale bien trop répandue dans notre société.

 

Beaucoup de vénus sont belles, sont nues et souvent très sensuelles mais je crois que celle peinte par le Titien à mes préférences

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Ceci est une véritable oeuvre d'art ! La Merde d'Artiste de Piero Manzoni

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