Passager de la route 1/5
La vitre baissée et le coude à la fenêtre l’air épais de la chaleur relargué par la campagne et chargé d’obscurité par la nuit entrait dans l’habitacle avec la même régularité que celle indiquée par l’aiguille du compteur de vitesse qu’il accrochait à la limite légale pendant qu’il découpait en solidaire le ruban d’asphalte qui se déroulait devant lui. Il éprouvait une sensation qu’il pensait avoir perdu, disparue dans la carcasse ferraillée de sa première auto. Il prenait conscience que si l’on excepte les raisons professionnelles, il y a relativement peu de raisons pour qu’un homme prenne la route au milieu de la nuit et que toutes ces raisons le ramenait à des souvenirs profondément ancrés en lui. Cette route noctambule peut relever de la responsabilité du père de famille que l’on a eu, que l’on est ou que l’on sera qui pour conduire sa famille à l’orée de ses vacances sacrifie sa nuit pour tracer une route libre de bouchons au nez et à la barbe d’autres pères plus paresseux qui seront partis plus tard. On roulera jusqu’à voir venir la mer, les bungalows et la plage usant jusqu’à l’hypothétique le CD de vieux rock qui tourne dans l’autoradio. Lui aussi avait connu cela, le père au volant toute la nuit et le petit déjeuner dans une station à essence. Il regardait alors son père avec fierté en voyant dans son regard fatigué une forme de satisfaction homérique d’un voyage conduit à bon port dans le giron heureux de sa famille.
à suivre